Plaidoyer pour une apiculture juste – Partie 1

Depuis le 19e siècle, nous sommes formatés par un enseignement apicole fondé sur des hypothèses et sur un commerce qui ne tient aucun compte de la vie des abeilles ni de leur respect. Il est grand temps que l’apiculture prenne un tournant majeur et qu’elle embrasse l’amour pour les abeilles.

Il est crucial d’apprendre à les écouter, à les comprendre, à les respecter et à les accompagner. Les écoles doivent revoir leur perception des abeilles et enseigner d’une manière différente. Classer l’abeille comme un Hyménoptère et la colonie comme une société dans laquelle l’abeille travaille, comme le fait l’enseignement universitaire en entomologie ou en biologie, est une approche trop formelle. Aborder l’abeille et l’étudier presque exclusivement comme un insecte sans tenir compte de l’animal colonie dont elle est totalement dépendante ne révèle-t-il pas une certaine étroitesse d’esprit ? Cette approche ne relève-t-elle pas simplement d’une projection anthropomorphique portée durant des siècles par l’humain égocentré ?

Nous commençons à comprendre d’autres concepts dans notre regard sur monde animal, comme l’éthologie équine le fait si bien en respectant le cheval dans son essence même. Elle nous apprend à nous libérer des contraintes de l’équitation militaire et nous permet d’entrevoir de nouvelles perspectives bien plus porteuses d’amour.

Et si nous considérions la colonie comme un seul organisme, un animal à part entière ?

Et si l’abeille n’était qu’une cellule détachée de ce tout ? Lorsque de nouvelles cellules naissent dans notre corps, sont-elles conscientes de l’ensemble du corps et de l’être dans lequel elles viennent d’arriver ? Sont-elles conscientes des pensées même que nous véhiculons à l’instant de leur naissance ? Vont elles en être imprégnées ? Ne se mettent elles pas à « travailler » presque immédiatement comme une abeille de fait si bien ? Il y a environ 4 minutes entre la fin de sa naissance et le début de ses actions pour la communauté. Quelle école l’abeille a-t-elle suivit durant ces quelques minutes pour tout savoir de ce qu’elle a à faire ?
Et si l’éthologie était la véritable voie vers laquelle l’apiculture devait tendre ?

Et si nous dépassions l’esclavagisme des abeilles engendré par des pratiques d’élevage brutales ?

Et si nous commencions par établir des règles apicoles qui servent les abeilles et non l’inverse ?

Débutons par respecter les sous-espèces locales et mettons fin à la dérive génétique à laquelle nous les soumettons par des pratiques ahurissantes. Il a fallu entre 3 et 5 millions d’années pour que se forme une relation d’harmonie entre un écosystème et une sous-espèce native.

Par exemple : est-il respectueux, responsable et moralement acceptable de pratiquer une apiculture qui s’enorgueillisse de produire des reines dans le Caucase, puis qui les envoie par des services de poste express à un laboratoire en Allemagne pour une fécondation artificielle, et ensuite les renvoie, toujours par les mêmes moyens de transport, dans des colonies orphelinées au Chili afin que ce « maman » pondent et fasse grossir la population pour qu’elles deviennent « caucasiennes »… C’est la mode actuelle. Elles seront finalement vendues aux apiculteurs des États-Unis ou du Canada, qui par ailleurs se plaignent d’une forte mortalité ; le tout, bien sûr, se faisant au nom de la hautes technicités scientifiques apicole et d’une agronomie moderne. Cela pour faire de l’argent quoi qu’il en coûte à nos belles butineuses et plus globalement à la nature et au vivant ?

Que dire des sous-espèces indigènes du chili, qui ne sont pas des Apis ?

Que dire des plantes endémiques qui étaient butinées et qui dépendent exclusivement de leurs insectes locaux habitués qu’ils sont par les processus d’attractions mis en place par ces végétaux, véritable symbiose développée au fil de millions d’années ? Les capteurs organoleptiques des antennes, la longueur de la langue, l’attrait et la digestibilité des pollens sont autant d’éléments que les abeilles indigènes ont développés au fil du temps et qui ne peuvent pas être modifiés en quelques décennies.
Il est temps de révolutionner notre approche de l’apiculture. Nous devons mettre en place des pratiques respectueuses, durables et éthiques. Nous devons nous engager à préserver la diversité des abeilles, à respecter leurs habitats naturels même quand nous les mettons en ruche et à favoriser leur conservation dans les écosystèmes. Seule une apiculture juste et attentionnée pourra garantir un avenir sain et florissant pour les abeilles et pour notre écosystème planétaire tout entier.

Cela nécessite un changement profond dans notre façon de penser et d’agir. Il est essentiel de reconnaître que les abeilles ne sont pas de simples instruments de production, mais des êtres vivants dotés de leur propre intelligence, de leur propre harmonie et de leurs propres besoins. Elles méritent notre respect et notre considération. Leur ADN vit sur terre depuis bien plus longtemps que le nôtre…

En premier, il est impératif de promouvoir les sous-espèces natives. Chaque région a ses propres abeilles indigènes, parfaitement adaptées à leur environnement spécifique. Ces abeilles sont les gardiennes des équilibres écologiques locaux, assurant la pollinisation des plantes endémiques et contribuant à la biodiversité. Elles peuvent butiner jusqu’à 300 végétaux mellifères ou pollinifères de leurs secteurs alors que les importés ne vont reconnaître qu’une centaine de plantes. Quid des 200 non fécondés ?

Nous devons cesser de privilégier les espèces venues d’ailleurs et les pratiques d’élevage intensif qui nuisent à la diversité génétique végétale et affaiblissent les populations locales.

Prenons un autre exemple : Il existe 3 sous-espèces (à notre connaissance) d’Apis Ligustica en Italie, qui sont aussi à la mode : celle du nord, celle du centre et celle du sud de la botte pour faire simple. Les éleveurs du sud proposent tôt, chaque printemps, de belles colonies très bien développées, et pour cause, il n’y a pas de nécessité d’hivernage dans le sud de la péninsule. Les apiculteurs locaux mettent en valeurs tous les critères commerciaux les plus alambiqués pour les vendre au plus vite mais qui oublient de dire que leurs belles Ligustica sont de la sous-espèce qui a perdu (ou qui ne l’a jamais eu) génétiquement la capacité de faire la grappe en hiver. La première récolte de leurs clients sera magnifique mais la sortie de l’hiver suivant sera, elle, beaucoup plus catastrophique surtout si ces chères butineuses ont été livrées dans des zones bien gélives…
De plus, nous pourrions revoir aussi notre approche de l’élevage des abeilles. Au lieu de les considérer comme de simples productrices de miel, nous devrions les appréhender comme des partenaires dans un écosystème complexe. Cela signifie abandonner les méthodes brutales qui exploitent les abeilles comme des esclaves et privilégier des pratiques respectueuses de leur bien-être. Il est possible de récolter le miel en quantité juste de manière éthique, en prenant soin de ne pas nuire à la survie des colonies natives et en laissant, par exemple, suffisamment de réserves pour qu’elles passent l’hiver confortablement.

L’éducation joue un rôle clé dans cette transformation. Les écoles et les institutions d’enseignement apicole doivent adopter une approche nouvelle, en expliquant aux futurs apiculteurs l’importance de l’éthologie et de la préservation des abeilles. Il est essentiel de développer une compréhension profonde de leur comportement, de leurs besoins et de leur relation avec l’environnement. En sensibilisant les apiculteurs en herbe à l’importance de pratiques durables et respectueuses, nous pourrions façonner une nouvelle génération d’apiculteurs conscients de leur responsabilité envers les abeilles et la nature tout entière.

Nous devons reconnaître que l’apiculture est bien plus qu’une simple entreprise commerciale. Elle est un engagement envers la préservation de la nature et une contribution à la sécurité alimentaire. C’est une véritable passion. Les apiculteurs éthologiques devraient être encouragés et soutenus dans leurs efforts pour promouvoir une apiculture juste et respectueuse. Cela peut se faire en offrant des incitations financières pour les pratiques durables, en favorisant la recherche scientifique sur les abeilles natives, leur sélection massale et en créant des réseaux de partage des connaissances entre les apiculteurs locaux.

En plaidant pour une apiculture juste, réaffirmons notre engagement envers les sous-espèces locales et l’environnement.

N’est-il pas temps pour agir ?
Tous ceux qui ont à cœur la préservation de la biodiversité et la construction d’un avenir durable pourraient aller dans ce sens.

Un véritable changement de paradigme apicole est nécessaire.

En travaillant ensemble, nous pouvons créer un monde où les abeilles prospèrent avec nous, où la nature est préservée et où nous vivons en harmonie avec notre écosystème. Il est temps d’aimer les abeilles et de leur offrir la justice qu’elles méritent.

Pr Roch Domerego.

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