Il faut bien démarrer du sujet par un point d’entrée…
La première priorité pour tout apiculteur souhaitant installer un rucher devrait être l’étude approfondie de la capacité apicole du territoire environnant. Il est essentiel de prendre en compte le potentiel floral en termes de pollen, de nectar, ainsi que la disponibilité de l’eau et même la récolte de propolis. Ces critères sont indispensables pour déterminer l’emplacement optimal des ruches. Leur nombre dépendra des résultats de cette approche préliminaire.
Il est important de noter que chaque espèce végétale a sa propre période de floraison. Pour l’installation d’un rucher sédentaire, il faut tenir compte de la diversité des végétaux présents, de leur importance et de l’étalage des floraisons tout au long de l’année afin de couvrir une période de butinage aussi longue que possible.
En ce qui concerne les ruchers transhumants (malheureusement ils existent), même si le potentiel mellifère est élevé et permet l’installation de nombreuses ruches à un moment donné, il est crucial de respecter les critères d’espacement et d’orientation qui garantissent aux ouvrières un retour facile dans leur colonie.
Pour imager le propos, il est facile d’observer des ruchers situés en bordure de champs de lavande dans le sud de la France. Une fois la coupe des fleurs effectuée, il n’y a pratiquement plus rien à butiner sur des kilomètres à la ronde ; la Haute-Provence au mois de juillet est sèche, même aride. Malheureusement, certains ruchers sont négligés une fois la récolte de miel terminée, comme s’ils étaient abandonnés, sans aucun respect pour les ouvrières et leur colonie. Cela engendre un stress absolu pour les abeilles. Pas d’eau, pas de pollen, pas de nectar, rien qu’une zone où il est impossible de survivre pour elles. Et que dire s’il y a plus d’une centaine de ruches au même endroit.
Cela démontre l’importance d’une approche respectueuse de l’apiculture basée sur la compréhension des besoins des abeilles et de leur environnement. Les apiculteurs doivent prendre leurs responsabilités et s’engager à garantir des conditions de vie optimales pour leurs colonies. Cela implique aussi de comprendre le rythme naturel des floraisons et d’adapter les pratiques apicoles en fonction de celles-ci.
Il est également essentiel d’éduquer et de sensibiliser les apiculteurs et les exploitants agricoles sur les conséquences de leurs actions sur les abeilles et les écosystèmes. La collaboration entre berger d’abeilles, agriculteurs et autres parties prenantes est nécessaire pour créer des solutions durables et promouvoir un respect de la nature.
Rentrons plus dans les détails :
Il existe une technique précise pour quantifier la capacité d’accueil de l’environnement. Elle peut être assez facilement calculée grâce au concept de potentiel utile de butinage (PUB). Les végétaux seront classés de 1 à 5 pour leur pouvoir pollinifère et idem pour leur capacité nectarifère dans la zone réelle de butinage qui entoure le rucher. Elle devra être aussi étudiée. Tout cela sera mis en perspective sur le calendrier de l’année apicole.
Continuons l’exemple des vastes champs de lavande qui s’étendent à perte de vue sur le plateau de Valensole dans les Préalpes du sud de la France. Vers le mois de juin, pendant une courte période, au moment de la floraison de la fleur bleu, il existe un PUB très élevé en production de nectar 4/5, mais quasiment nul côté pollen 1/5 car les lavandes cultivées sont, la plupart du temps, des hybrides asexués ; surtout qu’il n’y a que très peu d’autres fleurs aux alentours. Il n’est pas rare de constater un arrêt de la ponte à ce moment-là. Néanmoins, compte tenu des surfaces cultivées, cela permet la présence d’un grand nombre de ruches si les colonies sont très fortes et suivies avec le plus grand soin. C’est fou et même hallucinant qu’il existe des ruchers de plusieurs centaines de colonies les unes à côté des autres, déposées à même le sol directement du camion de transhumance. Véritable esclavagisme moderne. (voir photo)
Cependant, dès que les lavandes sont coupées et malheureusement cela se produit souvent trop tôt dans le cycle de floraison pour les abeilles, le PUB change radicalement d’un jour à l’autre pour devenir nul 0/5 en nectar et pour le pollen, rien n’a changé 1/5. Les colonies se retrouvent alors abandonnées, sans possibilité de trouver de la nourriture dans un territoire semi-désertique. Elles ne peuvent qu’en souffrir et être profondément stressées. En réalité, les abeilles ne se seraient jamais installées naturellement dans un tel endroit.
Cependant, plus le butin est éloigné, plus le travail devient épuisant et dangereux pour elles. Il est donc essentiel d’aborder le PUB avec tendresse et compassion. Il vaut mieux créer de plus petits ruchers, trouver des lieux en harmonie avec les colonies et organiser les visites, plutôt que de forcer les ouvrières à s’exténuer pour trouver leur source de vie.
En respectant ces critères, il est extrêmement rare de calculer des PUB permettant de maintenir des ruchers sédentaires de plus de 12 ruches. Même avec ce nombre réduit, il est important de les espacer suffisamment pour diminuer au maximum la dérive des abeilles d’une ruche à l’autre et minimiser les interactions stressantes.
La position et l’orientation du rucher doivent également favoriser une harmonie optimale entre les colonies et leur environnement. L’ensoleillement est essentiel pour la croissance et la santé des colonies mais pas trop non plus. L’humidité du lieu doit également être prise en compte, car celle-ci en trop grande quantité peut nuire et favoriser la propagation des maladies. Par contre la position des sources pour l’approvisionnement en eau est cruciale car les abeilles en ont besoin pour s’abreuver mais aussi refroidir la ruche ; ce qui est primordial dans cette région en été. L’orientation des vents et par conséquent de la position des trous de vol est aussi à définir. Ces simples critères sont autant de paramètres à valider en plus de la diversité florale et de son étalement au fil des mois. Certains, à l’écoute, tiennent aussi compte du tellurisme (influence des champs électromagnétiques terrestres) pour installer leurs belles.
En règle générale, les ruchers sont idéalement positionnés en milieu de coteau et à l’abri du vent autant que possible. Les ruches misent de niveau seront espacées d’au moins trois mètres les unes des autres. Leur entrée doit être orientée (en Europe) vers l’est ou le sud et la surface sur laquelle se trouve le rucher régulièrement nettoyée et entretenue. En réalité, nous devrions comparer un rucher à une étable, où chaque ruche représenterait un animal à part entière produisant du miel, tout comme les vaches produisent du lait. Pour ces dernières, il ne nous viendrait jamais à l’idée de laisser l’étable sale et sans entretien. Nous devons avoir la même attitude lorsque nous sommes sur un rucher. Il ne s’agit pas seulement de nettoyer l’intérieur des ruches, mais aussi d’entretenir de la zone dans son ensemble. Bien des maladies seront évitées.
Grâce à une sensibilité éthologique, l’apiculteur assure une harmonie entre les abeilles et leur environnement. Il contribue ainsi à leur prospérité et par effet de retour, les colonies le lui rendent par une production d’un miel de qualité.
Une apiculture juste et responsable doit prendre en compte la capacité du territoire, respecter le cycle naturel des floraisons et assurer des conditions de vie optimales pour les colonies. Seule une approche holistique et éthique peut garantir un avenir prometteur pour l’apiculture et surtout préserver la vitalité de nos belles butineuses.
Pr Roch Domerego
Mbazi le 12 juin 2023
PS : La « suite 2 » portera sur le choix de la ruche